Les racines du ciel, de Romain Gary

Publié le par Webiblio

Les racines du ciel, de Romain Gary

 

racines du ciel

 

Cette fois-ci, dans ma période de voyages littéraires, après la Grèce et avant Vladivostok (critiques à venir), me voilà transportée au Tchad. Je découvre avec étonnement que nos préoccupations écologiques ne sont pas neuves et que vers 1954, si je me rappelle bien les dates du roman, elles étaient déjà prégnantes chez certains, et latentes dans le monde politique.

 

Le déclencheur de l’intrigue est un dénommé Morel, qui se balade dans les communautés blanches des « grandes villes » (dont j’ai déjà oublié le nom, décidément la géographie n’est pas mon fort) en essayant de faire signer sa pétition (détail capital) qui veut forcer les gouvernements à interdire définitivement la chasse aux éléphants afin de ménager une marge humaine où l’on puisse se réfugier, en sachant que des animaux aussi extraordinaires, malgré la place qu’il prenne, les troubles qu’ils peuvent causer, et leur inutilité, en quelque sorte, sont protégés parce que ce qui devrait caractériser l’espèce humaine, c’est sa tolérance (je simplifie, que Gary me pardonne). Ce Morel, dont d’abord tout le monde se moque et dont personne ne signe la pétition (il ne récolte que deux noms), finit par décider de passer à l’action et à l’attaque. Il se met à incendier des plantations ou des fermes, des magasins de blancs dont l’art de chasse est réputé, ou qui sont connus pour l’ivoire dont ils font le trafic, ou encore parce qu’ils exportent des vases ou des seaux faits à partir de pieds d’éléphants évidés. Il ne tue pas les responsables, mais les punit : recevoir une fessée pour les femmes, être fouetté pour les hommes… Un certain nombre de personnages (difficile de tous les mémoriser, d’ailleurs) suit de près ou de loin les aventures de cet hurluberlu. Il y a beaucoup de militaires, de gouverneurs, de prêtres, et quelques civils égarés là, exilés volontaires ou forcés. Il y a aussi l’Allemande, débarquée au Tchad pour être serveuse au bar d’un hôtel et que le combat de Morel touche profondément.

 

Ce roman foisonne de très beaux personnages qui ont pour la plupart fait l’expérience d’une très grande solitude, et cherchent à la remplir.  Pour l’Allemande (prénom et patronyme déjà sortis de ma mémoire), c’est encore ce que Morel cherche, en voulant protéger les éléphants. Ce qu’il raconte, lui, qui a été emprisonné en camp de concentration, c’est qu’il a une dette envers eux, parce qu’un des hommes de son block, enfermé au cachot pour une belle résistance de l’esprit qu’il serait un peu long de relater ici mais que vous découvrirez, si ce n’est déjà fait, dans le roman, dans une cellule trop petite pour être debout ou pour s’allonger, a, pour survivre, pensé aux éléphants. À d’immenses troupeaux d’éléphants qui traversent la savane en détruisant tout, avec leur force et leur puissance de mastodontes, en même temps que leur grâce lourde de pachydermes. Je trouve cette anecdote magnifique et elle fait écho pour moi à un texte que j’avais lu sur la femme ou la compagne de Robert Desnos dans les camps, qui prenait le temps de saluer, de discuter, de faire des politesses même au milieu des prisonniers hébétés et abrutis, pour garder son humanité, pour ne pas se laisser avoir. 

 

C’est un livre qui parle de résistance et d’humanité, de croyance en l’homme, de désespoir, de solitude, d’Afrique et du regard de l’Occident sur elle dans les années 50, de choix différents, de politique, de foi, de Dieu.

 

Extraits : « C’était un homme qui avait beaucoup souffert et qui se sentait bien seul. (…) C’était d’ailleurs amusant de voir ce que ce besoin de qu’elle connaissait si bien pouvait devenir lorsqu’il se mettait à grandir en vous – on pouvait bien jeter tous les éléphants d’Afrique dans ce vide sans parvenir à le combler. Elle ne bougeait pas, appuyée contre le mur, essayant de ne pas l’interrompre, de pas sourire aussi à l’idée que jamais sans doute un homme n’avait parlé ainsi  des éléphants à une femme. Elle pensait aussi qu’il était vraiment bien tombé et que seule fille sur laquelle des hommes s’étaient jetés sans même desserrer leurs ceinturons pouvait comprendre sans s’étonner toutes les formes étranges et parfois un peu drôles que peut prendre le besoin d’amitié et de protection. »

 

Au cas où, précision : « elle » c’est l’Allemande, et « il » c’est Morel, quand il n’en est encore qu’au stade pétition.

 

« Je crois même que tous les mouvements politiques contre les droits de la personne humaine, contre une conception élevée de notre dignité sont nés de cette volonté de se rassurer eux-mêmes de tous ceux qui ne se sentent pas capables d’une telle tâche et qui puisent dans leur petitesse blessée une haine farouche pour ces obstinés qui, ainsi qu’ils le disent – et avec quel mépris ! – se font des illusions. »

 

Je ne sais plus qui parle exactement, mais peut-être bien le Père Saint Denis, celui qui cherche dans tout le pays l’histoire complète de cette affaire, et qui va interroger un autre personnage qui est assez au courant – ou bien il s’agit de ce personnage-là.

 

« Il fallait que l’opinion publique sût qu’en ce siècle de défaitisme et d’acceptation, des hommes continuaient à lutter pour l’honneur du nom et pour donner à leurs espoirs confus un élan nouveau. Tôt ou tard, cette aspiration informulée qui les habitait allait se frayer un chemin à l’air libre, prendre corps, éclater à la surface comme une triomphale floraison. Du Baïkal à Grenade et de Pittsburg au Tchad, le printemps souterrain qui vivait sa vie cachée dans la profondeur des racines, allait surgir à la surface de la terre de toute la puissance irrésistible de ses milliards de pousses faibles et tâtonnantes. Il pouvait presque entendre ce lent cheminement vers l’air libre et la lumière, ce bruissement timide et clandestin. Il était très difficile de percevoir ces petits craquements, à peine audibles  et biscornus, des souches qui cherchent à se frayer u chemin à travers toute l’épaisseur d’une acceptation millénaire. Mais il avait l’oreille très fine et exercée à suivre sur toute l’étendue du globe la lente poussée, millimètre par millimètre, de ce vieux et difficile printemps. »

 

« Il » est toujours Morel, si je me souviens bien.

 

 

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