Les justes, d'Albert Camus

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Les justes, d’Albert Camus
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Résumé du 4e de couverture : Ne pleurez pas. Non, non, ne pleurez pas ! Vous voyez bien que c’est le jour de la justification. Quelque chose s’élève à cette heure qui est notre témoignage à nous autres révoltés : Yanek n’est plus un meurtrier. Un bruit terrible ! Il a suffi d’un bruit terrible et le voilà retourné à la joie de l’enfance.

Mon résumé : Un groupe de terroristes socialo-communistes, affilié à l’Organisation, organise l’attentat du Grand-duc de Russie, oncle du tsar, afin de faire cesser les [align=center]horreurs, l’autocratie, l’injustice... Peu de personnages : Annenkov (Boria), Dora, Stepan, Voinov (Alexis) et surtout Kaliayev, les terroristes, la Grande-duchesse, un gardien de prison, un prisonnier, le directeur du département de police. Je me rends compte qu’en fait ça fait beaucoup, ça... Mais bref !



Extraits :

Extrait 1, Acte premier [Kaliayev est nouveau dans le groupe, et vient de se faire insulter par Stepan, qui s’est juste évadé du bagne.]


KALIAYEV

Non. Je sais ce qu’il pense. Schweitzer le disait déjà : « Trop extraordinaire pour être révolutionnaire. » Je voudrais leur expliquer que je ne suis pas extraordinaire. Ils me trouvent un peu fou, trop spontané. Pourtant, je crois comme eux à l’idée. Comme eux, je veux me sacrifier. Moi aussi, je puis être adroit, taciturne, dissimulé, efficace. Seulement, la vie continue de me paraître merveilleuse. J’aime la beauté, le bonheur ! C’est pour cela que je hais le despotisme. Comment leur expliquer ? La révolution, bien sûr ! Mais la révolution pour la vie, pour donner une chance à la vie, tu comprends ?

DORA, avec élan

Oui... (Plus bas, après un silence.) Et pourtant, nous allons donner la mort.

Extrait 2, Acte deuxième [Kaliayev devait lancer une bombe sur la calèche du Grand-duc. Il n’a pas pu, car il y avait des enfants dans la calèche et il refuse de tuer des innocents.]

DORA

[...]

Même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites.

STEPAN, violemment

Il n’y a pas de limites. La vérité est que vous ne croyez pas à la révolution. (Tous se lèvent, sauf Yanek.) Vous n’y croyez pas. Si vous y croyiez totalement, complètement, si vous étiez sûrs que par nos sacrifices et nos victoires, nous arriverons à bâtir une Russie libérée du despotisme, une terre de liberté qui finira par recouvrir le monde entier, si vous ne doutiez pas qu’alors, l’homme, libéré de ses maîtres et de ses préjugés, lèvera vers le ciel la face des vrais dieux, que pèserait la mort de deux enfants ? Vous vous reconnaîtriez tous les droits, tous, vous m’entendez. Et si cette mort vous arrête, c’est que vous n’êtes pas sûrs d’être dans votre droit. Vous ne croyez pas à la révolution.

Silence. Kaliayev se lève.


KALIAYEV

Stepan, j’ai honte de moi et pourtant je ne te laisserai pas continuer. J’ai accepté de tue pour renverser le despotisme. Mais derrière ce que tu dis, je vois s’annoncer un despotisme qui, s’il s’installe jamais, fera de moi un assassin alors que j’essaie d’être un justicier.

STEPAN

Qu’importe que tu ne sois pas un justicier, si justice est faite, même par des assassins. Toi et moi ne sommes rien.

Extrait 3, acte quatrième [Kaliayev a tué le Grand-duc ; il est en prison et la Grande-duchesse lui rend visite.]

LA GRANDE-DUCHESSE, s’assied, comme épuisée.

Je ne peux plus rester seule. Auparavant, si je souffrais, il pouvait voir ma souffrance. Souffrir était bon alors. Maintenant... Non, je ne pouvais plus être seule, me taire... Mais à qui parler ? Les autres ne savent pas. Ils font mine d’être tristes. Ils le sont, une heure ou deux. Puis ils vont manger – et dormir. Dormir surtout... J’ai pensé que tu devais me ressembler. Tu ne dors pas, j’en suis sûre. Et à qui parler du crime, sinon au meurtrier ?

KALIAYEV

Quel crime ? Je ne me souviens que d’un acte de justice.

LA GRANDE-DUCHESSE

La même voix ! Tu as eu la même voix que lui. Tous les hommes prennent le même ton pour parler de la justice. Il disait : « Cela est juste ! » et l’on devait se taire. Il se trompait peut-être, tu te trompes...

Ma critique : C’est une pièce vraiment intéressante qui questionne beaucoup sans donner de réponse – mais y en a-t-il ? Qui a raison ? Jusqu’où peut-on aller dans la révolution ? Où se trouve la justice ? Cela remue, et l’on se rend compte qu’il faut savoir au moins soulever les questions... Dès que Dora, Kaliayev en posent, on leur ordonne de se taire. Lorsque la Grande-duchesse rappelle le meurtre de l’homme sous l’attentat de l’idée, Kaliayev ne peut le supporter. Malgré leur courage apparent – accepter sa propre mort, sa condamnation, la prison... – ils n’ont pas le courage de la réflexion fondamentale, mais peut-être est-elle impossible à ceux qui veulent agir ? Ils ont refusé de tuer le neveu et la nièce du Grand-duc, mais la femme de celui-ci dit à Kaliayev que la nièce est une peste insensible « elle a un mauvais coeur », « elle a peur de toucher [les pauvres] » alors que son oncle buvait avec les paysans. Alors ? Que faire ? Qui condamner ? Est-ce seulement vrai ? Et où est l’honneur ?
J’ai la même impression qu’après avoir fini L’étranger, du même auteur. Un livre dérangeant. Qui pose des faits, nous livre un récit dans son entier, nous les met sous le nez et débrouille-toi avec ça mon coco ! Mais quelle chance tout de même, heureusement qu’il y a des romans, des pièces, des textes disons, qui ouvrent à la réflexion, au débat... Impossible d’adopter une pensée ici. On doit se faire la sienne propre, puisque même on ne sait pas l’avis de Camus – enfin pas à la première lecture.

Note : je ne sais pas... en tout cas j’ai aimé cette pièce !

Détails pratiques :
Deux éditions sur le site de la FNAC, chez Gallimard
- Collection Folio Théâtre, 3,42 €
- Collection Blanche, 13,76 €

Critique de Viveleslivres, administratrice du Forum Litterat de Bibliothèque, et votre serviteuse !
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C
Bonjour Jeanne ! Qu'entends-tu par "ils n’ont pas le courage de la réflexion fondamentale" ? car pour moi ils sont tout le temps dans le débat et dans la réflexion maos aussi dans l'action. La pensée a sans doute séparé ce qu'elle était censée rapprocher : le réel et l'idée.
Répondre
W
<br /> Ce que je voulais dire, c'est que pour moi, la première réflexion, avant "peut-on tuer des innocents ?", c'est "peut-on tuer pour une idée" ? Tu ne crois pas ? J'aurais du mal à répondre cela pour<br /> moi-même !<br /> Me tuer moi-même, aller jusqu'à la mort pour défendre mes idées... Sans doute, bien qu'on ne puisse jamais savoir à l'avance. Je suis maîtresse de moi-même, et décider de ma mort fait partie de ma<br /> liberté. Cependant, tuer quelqu'un d'autre ! Fût-il un dictateur... Cela me paraît vraiment horrible. Évidemment, je comprends les arguments opposés, on ne peut pas libérer un pays sans cela, il<br /> faut agir et pas seulement parler, la littérature ne changera pas le monde... Mais un assassinat le change-t-il ? J'aime la réflexion de Diderot à ce propos, dans l'article 'Autorité' de<br /> l'Encyclopédie, où il explique que pour lui, il y a deux formes d'autorité : celle qui est imposée, inique, qui ne tient que par la force. Et qui ne peut durer que tant que les opprimés n'ont pas<br /> la force de se retourner contre les oppresseurs. Mais dès qu'eux-mêmes l'auront, ils imposeront un nouveau régime de même nature : forcée. Et donc injuste (à mon sens). Et il oppose à cette<br /> autorité celle qui est voulue par les deux parties, choisie, décidée ensemble, grâce à un contrat, etc. Mais ce que je veux souligner, c'est le fait que le deuxième régime, une fois la révolution<br /> ou la libération passées, que se passe-t-il ? Souvent l'on retombe dans les mêmes situations. Voilà ce que j'entendais par "réflexion fondamentale". Mais c'est un terme un peu pompeux, et trop<br /> exagéré.<br /> <br /> <br />